jeudi 10 janvier 2013

L'enfant du jeudi - Alison Pick

L'enfant du jeudi - Alison Pick


Tout cela a commencé quand le grand-père de l'auteure (Pick sur l'afficheur!) a appelé à la librairie où je travaille pour réserver quelques exemplaires du livre L'enfant du jeudi de Alison Pick. Le livre n'était alors pas encore en librairie, mais n'allait pas tarder. Profitant d'un moment d'accalmie au magasin, je me permis une petite pause en lisant le résumé du roman sur le site de Boréal. Et voilà. Je devais lire ce livre!


D'abord parce que je considère avoir lu trop peu de livres sur l'holocauste. Ces récits, souvent très denses, remplis de détails et d'images horrifiantes, n'attirent pas vraiment mon attention. Mais quand même, le sujet m'intéresse et tous les romans qui portent sur un même sujet peuvent être écrits d'une multitude de façons.

L'enfant du jeudi raconte l'histoire de la famille Bauer (juifs non-pratiquants et très bien nantis) à travers les yeux de leur gouvernante, Martha, dans une petite ville de la Tchécoslovaquie, au début de la Seconde Guerre mondiale. Martha, jeune femme catholique d'origine vague et sans éducation, ne connaît pas grand chose du conflit qui est en train de se tramer en 1938 dans le territoire des Sudètes. Par ailleurs, elle sait qu'elle doit se ranger d'un côté (ce que lui répète son amant Ernst, l'associé nazi de M.Bauer) et elle se rend bien vite compte que sa véritable famille est celle de Pavel Bauer et sa femme Anneliese, et plus particulièrement leur fils Pepik, qu'elle a élevé comme une mère. Consciente des manigances d'Ernst qui, profitant de la situation de la déportation éventuelle de la famille Bauer dans les camps, s'empare de manière détournée de l'argent de son associé, Martha est honteuse et juge préférable de taire cette liaison qui risquerait de lui faire perdre à la fois son emploi et sa seule famille. La menace de l'occupation nazie devenue réelle, la famille décide de quitter pour Prague, pensant y être en sécurité. Entre la nouvelle fierté juive de Pavel et le désir d'Anneliese de sauver son fils (par n'importe quel moyen) se dresse Martha, qui avec une lucidité nouvelle, tente d'aider de son mieux Pepik à trouver un certain équilibre dans ce monde injustement discriminatoire. Et, toujours, cette image du train, à la fois rassurante et affolante, qui hante les personnages et l'autre narratrice, qui par ses recherches rend possible l'histoire racontée. Le train rassurant, c'est le "Kindertransport", dont on a rarement entendu parlé, qui a permis à des centaines d'enfants juifs de quitter leur pays pour éviter le pire, comme il en a été le cas pour Pepik dans le roman.

L'entrée dans le texte n'est pas facile. Un arbre généalogique sans branches. La description d'un train vu d'un oeil anonyme. Une lettre adressée à une anglaise. Une première intrusion de la narratrice, qui nous révèle d'entrée de jeu la fin dramatique du roman. Et enfin, nous arrivons en Tchécoslovaquie chez les Bauer, là où le récit commence vraiment. Cette multitude de points de vue aurait pu me décourager, mais à la lumière de certains éléments au fil du texte, je n'avais qu'à y revenir sommairement pour en comprendre les subtilités. Et l'insertion de lettres et de deux niveaux de récits rend le texte beaucoup plus vivant, même si il nous faut parfois recoller certains morceaux pour comprendre les éléments de l'histoire.

Alison Pick réussit à nous faire comprendre le raisonnement du peuple juif qui, malgré la menace, n'aurait jamais pu prévoir les atrocités qui l'attendait. Au quotidien, l'espoir peut être aussi bien un ennemi qu'un allié, qui dans le cas des Bauer les empêche de se sauver à temps, mais leur permet quand même de vivre en espérant un jour revoir leur fils.

Un roman qui m'a beaucoup appris d'un point de vue historique, mais qui m'a aussi fait réfléchir sur la manière de diversifier par l'écriture les visions d'une réalité connue et relatée maintes fois par le passé. Oui, il s'agit d'un drame. Mais jamais dans ce roman il n'est question de la réalité des camps et des atrocités dont on connait aujourd'hui les détails. L'atrocité, c'est aussi de savoir que tous les chemins (ou les trains) que nous prenons, même de manière réfléchie, peuvent nous conduire à notre propre perte. La beauté, c'est de ne pas être inerte, et d'avancer, coûte que coûte, par espoir ou par amour.

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